| Oui, mais non
Encore ! Oui, je sais, je vais vous parler du référendum français au
sujet du « Traité établissant une Constitution pour l’Europe». Plus que
deux jours, et ce sera peut-être l’anarchie, l’Europe à feu et à sang,
les Chinois débarquent, le couteau entre les dents, les Américains
lancent l’opération « tempête dans la choucroute », la fin du monde, ou
alors on s’apercevra que c’est lundi et qu’il faut se lever pour aller
au boulot, comme d’habitude.
Je n’ai jamais suivi une campagne électorale française avec un tel sentiment de malaise.
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On a jamais autant parlé de l’Europe
en France : les textes ont été décortiqués, commentés, interprétés
à l’envie et à outrance. Quelle belle expression du débat
démocratique ! D’abord intrigués par un tel débat, les voisins
européens se sont interrogés sur la nature d’une telle vitalité, d’une
telle virulence . Au point que nos amis allemand et italiens se sont
proposés en grand nombre pour venir prêcher la bonne parole du
« oui » dans les débats franco-français (ce qui a le don
d’agacer la frange franchouillarde, qui pense aussitôt : « de
quoi j’me mêle ?! »).
On avait déjà entendu que les agriculteurs qui allaient voter
« Non » allaient se « tirer une balle dans le
pied » (Chirac), ce qui peut encore apparaître comme un argument.
On entend maintenant que ceux qui ont l’intention de voter
« Non » « feraient mieux d’aller à la pêche »
(Raffarin). Un premier ministre d’une démocratie qui incite les
électeurs partageant une opinion différente à la sienne à
s’abstenir ? Je rêve ! Quel mépris pour le suffrage
universel ! Quel mépris pour la démocratie !
Giscard, très fier de son petit effet, qui crève un ballon sur lequel
est écrit « Plan B ». Poum ! Sourire entendu de
l’intéressé, quelle rigolade ! Mais c’est qui, la
baudruche (« homme sans consistance », Petit Robert)? Le
rédacteur en chef de la constitution qui méprise ceux qui ne
comprendraient pas la substantifique moelle de ce texte ? Celui à
qui on a confié une mission politique, difficile, mais qui devait
envisager la sanction des urnes ? Pas de « plan
B » ? « C’est moi ou le chaos » aurait dit De
Gaule, démissionnant de façon théâtrale après un référendum.
« Après moi le Déluge ! » aurait dit Louis XV, ou
Giscard, in peto, lors de son départ de l’Elysée en 1981… Le
plébiscite, demander son avis à la Plèbe, le bas peuple, quelle
déchéance, quel humiliation pour nous, aristocrates de robe, d’épée ou
d’argent, quand nous sommes si sûrs de ce qu’il faut faire pour
aménager le confort de nos gens. La France est un pays paradoxal ou on
peut décapiter un Roi tout en conservant la nostalgie de la Royauté et
de l’Empire.
Essayons une sommaire comparaison entre les systèmes démocratiques
suisses et français. Par tradition historique, les Suisses sont
habitués aux référendums et aux initiatives, pour lesquels ils doivent
exprimer un point de vue tranché : « Oui » ou
« Non ». Que l’abstention ou le vote blanc soient considérés
est un autre débat. Le message du vote est toujours clair :
« Oui », nous sommes d’accord avec votre proposition,
« Non », nous n’en voulons pas, retournez au travail et
faites nous une autre proposition. Je n’ai jamais vu en Suisse, à
l’issue d’une votation, un acteur politique dont le projet a été
débouté par le scrutin déclarer, malgré sa déception, que les électeurs
étaient des cons, des stupides ou des abrutis, claquer la porte sur un
effet de manche, lancer des anathèmes sur ses opposants. Manque de
courage politique ? Caresser les électeurs dans le sens du
poil ? Non : respect de la démocratie et de sa mécanique
complexe et parfois frustrante.
Dans dix jours, les Suisses s’exprimeront sur deux sujets de société
essentiels : Schengen et le partenariat. Les électeurs devront
s’exprimer selon leurs convictions, sans penser à désavouer par leur
vote la politique globale de leurs élus.
Référendum. Le mot, désignant une pratique courante en Suisse,
n’apparaît dans aucune des constitutions de la France avant celle de
1946 (Petit Robert). De Gaule a lâché le pouvoir à l’issue d’un
référendum, Chirac pourrait se retrouver dans la même situation dès
lundi. Il n’est pas inutile de rappeler que la plupart des choix de
société ont été décidés, en France, par voix parlementaire et souvent
contre l’avis de la majorité des électeurs : le vote des femmes
( !), l’interruption volontaire de grossesse (IVG), l’abolition de
la peine de mort, le PACS, les 35 heures, etc.
Les Français ne sont-ils pas assez mûrs politiquement pour fonctionner
dans un système de vote par référendums ? Ou simplement, par
manque d’habitude, votent-ils d’une façon globale et épidermique dès
qu’ils ont l’occasion, trop rare, de s’exprimer ?
Je vais voter dimanche, en famille. Gigot haricots verts ou poulet rôti pâtes au jus ?
ojm