| En pire
Ça évoque quoi, pour vous, un Empereur ?
Une certaine grandeur ? Le souffle de l’Histoire (la
grande) ? Un restaurant, un théâtre ou une image précise de la
dictature ? |
Je
sais, je cède à l’actualité incontournable de la sortie du dernier
volet de « La guerre des étoiles » pour réagir sur le sens du
terme « Empire ».
Jules César, Charlemagne, Charles-Quint, Napoléon et tant d’autres
auxquels on peut rajouter les « Guides » et autres
« Petit Père des Peuples »… Dictature, guerres,
colonisations, j’abrège : l’image que nous donne l’Histoire des
Empereurs et de l’Impérialisme n’est pas reluisante.
La tentation de Périclès : depuis Socrate et Platon, le sujet de
la dérive possible de la démocratie vers la dictature a été nourri par
la pensée philosophique et politique. C’est le thème principal de
l’hexalogie (hum) de Lucas, la Guerre des Etoiles. La terminologie
employée s’inspire sans complexe de l’histoire des systèmes
démocratiques : la République, les colonies, l’Empire, le
Chancelier, les chevaliers, la rébellion, etc. La République de Weimar, le chancelier Hitler amené au pouvoir par des
intrigues et des carences démocratiques, le IIIe Reich, l’Axe, la
Résistance et les Alliés.
On retrouve plus ou moins les mêmes schémas dans la trilogie du
« Seigneur des Anneaux ». Pour la forme, l’« heroic
fantasy », en tant que genre, n’a pas d’âge : Flash Gordon,
Guy l’Eclair et la quête du Graal !
Pour autant, les termes « Empereur » et
« Impérialisme » ne sont pas obsolètes et leur actualité
n’est pas que cinématographique. Par exemple, dans un article récent
(« Libération » du 13 mai 2005), Toni Negri, figure
altermondialiste, déclare que « la Constitution (européenne) est
un moyen de combattre l’Empire, cette nouvelle société capitaliste
mondialisée, […]. L’Europe a la possibilité d’être un garde-fou contre
la pensée unique de l’unilatéralisme économique : capitaliste,
conservateur et réactionnaire. Mais l’Europe peut aussi s’ériger en
contre-pouvoir contre l’unilatéralisme américain, sa domination
impériale, sa croisade en Irak pour dominer le pétrole. ».
L’ennemi est désigné, dégainez les épées Jedi ! (Euh, pas moi,
merci, je suis non-violent, en plus ça ressemble à une guerre sainte,
ce truc…).
Une des caractéristiques des Empires est qu’ils sont construits sur la
stratégie de la guerre permanente. Lucas rappelle, lors d’interviews,
que le premier épisode de la saga a été réalisé pendant la guerre du
Vietnam et le dernier pendant la guerre en Irak. Le message est clair.
Les commentaires sont déjà bien fournis et les thèses universitaires en
train de bourgeonner.
En tant que spectateur, j’adore cette saga depuis le premier volet. Un
parfum d’enfance, des rêves de petit garçon, des fantasmes d’ado. Plus
philosophiquement, l’histoire nous renvoie à notre mythologie et à
notre construction politique autour des valeurs de la démocratie. Plus
prosaïquement, le « cinéma » Star Wars, c’est aussi le
triomphe de la machine Hollywood, le symbole de l’hégémonie américaine
sur le cinéma mondial, le mercantilisme des « produits
dérivés » et l’hystérie consommatrice des jeunes fans. En plus,
c’est encore les gentils qui gagnent à la fin… Tant de niveaux de
lecture et d’appréciations contradictoires, c’est riche, ça fait
réfléchir. Faire réfléchir ! Voilà une des plus belles choses que
l’on peut attendre du cinéma (et des Américains, oups, pardon).
George Lucas lui-même, très conscient du phénomène qu’il a déclenché,
déclare lors d’interviews récentes, qu’il souhaite, en substance,
s’éloigner du côté obscur de la Force et refaire du cinéma plus proche
de ses premières aspirations. On se réjouit pour lui et pour nous,
spectateurs. Mais les disciples maladroits ou faiseurs vont
certainement continuer à nous proposer des clonages affadis à base de
philosophie de comptoirs et d’effets spéciaux maousses, en
mélangeant les bons sentiments et les gros bénéfices.
L’impérialisme est une notion qui touche la politique, la philosophie,
l’onirisme et l’imaginaire. L’art en a fait un sujet contemporain, le
cinéma l’exploite.
Pour le meilleur ou pour l’Empire ?
ojm