
| Les croûtes
Pour les habitués des cafés et restaurants, c’est toujours un jeu de
faire des commentaires sur la clientèle et le service, mais également
sur la décoration du lieu. Quel ravissement, cette surenchère kitch de dorures et de fausse laque
rouge dans ce restaurant chinois ! Quel charme, ces ustensiles
aratoires et ces gousses d’ail dans cette pizzeria ! Quel chic, ces
tables en formica et inox de cette cafétéria ! |
Et
les photos défraîchies, bleues et vertes, de la vue aérienne des bords
de mer du bled d’origine du patron ou celles de vieilles célébrités
venues manger la tambouille et signer un autographe. Et les écrans
vidéos qui débitent des clips standardisés, trop de viande
trémoussante, à se dégoûter du steak. Si vous n’avez pas les oreilles
trop délicates, allez manger dans un restaurant espagnol qui a une
grosse télé un soir de match de foot, c’est un spectacle intéressant.
Il n’y a pas que des choses moches ou anecdotiques, du mauvais goût ou
de l’agression visuelle, dans nos bistrots et restaurants. Certains
adoptent la sobriété d’un design contemporain, d’autres maîtrisent le
kitch et l’humour, le style garage ou salon bourgeois cosy, que
sais-je. Mais, quel que soit le style de la décoration, de la cuisine
ou l’origine de l’aubergiste, j’ai toujours été frappé par le nombre de
lieux qui proposent sur leur mur une sorte d’exposition temporaire
d’œuvres picturales. Des tableaux, en général, parfois des dessins,
plus rarement des photos ou des sculptures.
Bon, soyons honnête, il faut bien reconnaître que la grande majorité de
ces trucs est soit sans intérêt artistique, soit carrément hideuse. Moi
qui suis un obsédé visuel (!), je suis parfois incapable de détacher
mon regard de certaines de ces « œuvres » alors que j’essaye
de me concentrer sur le contenu de mon assiette ou du décolleté de ma
voisine.
J’exagère certainement, tout le monde ne doit pas être aussi sensible à
ce genre de choses, et puis c’est pas si moche, finalement, c’est
décoratif... C’est comme les musiciens qui jouent dans les transports
publics ou à la terrasse des bistrots. C’est sympathique et ça
« anime » nos villes grises, mais, en proportion, pour un
artiste qui vient nous proposer de la musique, cinq casse-pieds nous
écorchent les oreilles. Et on a pas toujours envie de consommer du son,
de l’image, on est déjà bien gavé par la pub affichée dans les rues et
le brouhaha de la circulation !
Malgré tout, ces expositions dans les bars et les restaurants
permettent de présenter une démarche artistique en dehors des galeries
d’art et des musées. Et peu importe que ce soit la nièce du patron ou
le petit copain de la serveuse, l’artiste talentueux en mal
d’expositions ou un copieur besogneux et avide, ici règne le copinage
et le coup de cœur. Ca permet aux clients de s’amuser à critiquer et
commenter, les pédants ramènent leur science, les amateurs aiment ou
détestent, les indifférents justifient leur indifférence, du moment que
le contenu de l’assiette ne ressemble pas à ces croûtes !. Une
façon de présenter « l’art » sans prétention autre que celle
de ses auteurs, un désir de l’aubergiste d’exprimer sa sensibilité et
ses jardins secrets, une technique pour que le client oublie la vétusté
du papier peint…
Après la croûte au fromage, voilà la croûte à l’huile, autre spécialité locale.
ojm