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Comment se débarrasser définitivement des cyclistes
Vous vous demandez certainement pourquoi, dans nos villes autrefois
si bien conçues pour le trafic automobile, il est fréquent de
rencontrer encore et fréquemment d’étranges machines laides,
silencieuses, non polluantes, lentes et mues par la seule force des
mollets. Ces « bicyclettes » ou « vélocipèdes », plus communément
appelés « vélos », sont les vestiges obsolètes d’une civilisation
arriérée. |
L’après-guerre en Europe et la
possibilité pour les revenus modestes d’acheter une voiture avaient
permis de faire quasiment disparaître de nos paysages cette
disgracieuse mécanique. Le spectacle de la sortie des usines des
ouvriers au guidon de leur vélo était relégué aux archives
photographiques. Comme on pouvait le dire en France à l’époque, les
seuls cyclistes qui restaient étaient ceux qui n’avaient pas encore été
écrasés par une voiture ou ceux qui faisaient le Tour de France… Il est
agréable de voir que la même chose se produit actuellement en Chine, la
vision de la ville chinoise ressemblant de moins en moins à ce
spectacle de cloportes à pédale. Et en plus, ils n’ont pas de Tour de
Chine.
Automobilistes, associations de promotion de la tuture, entreprises
de travaux publics, pouvoirs publics et constructeurs, mobilisons-nous
! Pour finir le travail d’éradication nécessaire de ce phénomène et
pour que règne enfin l’ère de la bagnole, je vous propose d’examiner
les mesures suivantes, urgentes et nécessaires :
- Ne pas installer de pistes cyclables sur les artères les plus denses.
Cette
méthode a un double avantage : seuls les cyclistes les plus
expérimentés ou les plus suicidaires se lanceront dans le trafic, les
autres éviteront le danger en circulant sur les trottoirs. Les premiers
viendront gêner les automobilistes qui ont une envie légitime d’appuyer
sur le champignon et ne comprennent pas que de tels véhicules
préhistoriques viennent empiéter sur leur domaine, les seconds seront
en conflit avec les piétons qui sont, c’est bien connu, des
automobilistes à pied ou des frustrés des transports publics.
- Installer des pistes cyclables
Voilà la méthode la plus subtile, qui peut se décliner en plusieurs variantes.
- Pistes cyclables réduisant la chaussée praticable pour les autos.
Les
conducteurs vont avoir comme réaction : « grrr, ils auraient pu faire
deux voies ici, et toi, le vélo, t’as pas intérêt à sortir de tes
lignes, sinon…, tout ce fric pour faire ces travaux, déjà que le bus à
une voie réservée, bientôt ils feront une piste pour les rollers et les
poussettes !». En plus ça permet de mettre dans les pattes des
cyclistes les scooters, de plus en plus nombreux, ravis de doubler les
bagnoles par la piste cyclable (« zut c’est quoi ce tricycle qui bouche
le passage ! »). En plus, les pistes cyclables font d’excellentes
places de stationnement provisoire (« je mets les feux de détresse et
ça passe, les vélos n’ont qu’à s’écarter », voir plus haut).
- Pistes cyclables en site propre venant déboucher sur un « cédez le passage » en faveur des automobiles.
Excellent ! vous imaginez l’accélération nécessaire à un vélo pour se glisser dans le trafic !
- Pistes cyclables à contresens.
Alors là, on
touche à la perfection. Entre les automobilistes, voyant sans
comprendre arriver en face des vélos dans des rues trop étroites pour
se croiser, et les passagers des voitures qui ouvrent la portière en
regardant logiquement vers l’arrière, c’est un lieu de conflit et
d’accident privilégié.
- Pistes cyclables « en pointillé ».
Un
classique, un must. Il suffit de mettre en confiance le bipède pédalant
sur une portion de piste, puis d’interrompre la signalisation aux
endroits où la circulation automobile est la plus dense. Une variante
consiste à arrêter les lignes jaunes en face d’une place de
stationnement. La classe.
- Verbaliser les cyclistes
Facile : placez une
armada de policiers au bord d’une voie de tram sans piste cyclable, les
amendes permettront de financer les travaux de réfection de notre joli
goudron. La loi est la loi, les automobilistes payent déjà bien assez
en contravention et en droit de stationnement. Il paraît qu’en
Hollande, certains centres-villes définissent une zone de circulation
où il n’y a pas de priorité, pas de signalisations, pas de flics, tous
les usagers (piétons, cycles, automobiles, transports publics) ont les
mêmes droits et doivent se céder le passage. Ils appellent ça des «
espaces partagés ». Conneries.
- Voler les vélos
A Strasbourg, première ville
cyclable de France avec ses 440 Km d’itinéraires cyclistes, l’espérance
de vie d’un vélo, avant qu’il soit volé, est de quelques mois en
moyenne. Sachant qu’un quart des personnes qui se font régulièrement
voler leurs vélos renonce à en faire, c’est certainement une piste
intéressante. La police a déjà beaucoup de travail pour retrouver les
voitures volées.
- Placer des pièges
Un
cycliste n’a pas de carrosserie, juste parfois un casque ridicule en
polystyrène. Faites le tomber plusieurs fois, organisez des accidents,
voilà une méthode radicale pour calmer les extrémistes. Une première
idée, déjà pratiquée, consiste à utiliser les conditions climatiques :
en cas de neige, les chasse-neige , peu mobiles, se contentent de
déneiger les voies en ligne droite. Des plaques de verglas résiduelles
se forment aux intersections (voir illustration) et les cyclistes qui
désirent tourner se retrouvent en déséquilibre sur la plaque, alors que
les voitures ont au moins deux roues sur la partie nettoyée de la
chaussée. Radical, efficace. Si vous laissez geler encore quelques
jours les plaques d’angle, l’effet est garanti. Vous me direz que cette
méthode fait tomber aussi les deux-roues motorisés. C’est vrai, mais il
faut savoir faire des sacrifices.
Encore plus fort ! Faites des chantiers qui viennent interrompre les
pistes cyclables, sans signalisation en amont et sans éclairage (voir
première photo). Un chef-d’œuvre de précision, une nasse à cyclistes !
Allez, encore un effort, l’automobile finira par triompher !
ojm