| Le journal orange, suite
Vous souvenez-vous de mon premier article sur Pays Romand intitulé
« l’éthique ? et toc ! » Moi je m’en souviens,
merci.
Voilà-t-y pas que la semaine dernière, je tombe sur une interview du
monsieur qui s’occupe de ce journal orange que tout le monde lit oui
mais non en même temps. Comble de l’ironie, cet entretien s’étale sur 4
pages, plus la couverture dans le journal hebdomadaire de la Migros (
Migros Magazine, no 15, avril 2005)! |
C’est
rigolo, moi qui ai toujours pensé qu’un des premiers gros coups de ce
canard orange ait été d’avoir pris un nom commençant par
« M » et le tout en orange, ça ne vous rappelle
rien ??….’sont pas rancuniers à la Migros, tant mieux. Je reste
persuadé que c’était voulu…les pouvoirs de la suggestion, le lien
inconscient avec un produit rassurant, bien suisse, honnête….bref.
Cette semaine, j’ai vu la une de ce canard que, je vous le rappelle, je
ne touche plus depuis belle lurette. Mais la une, on ne peut que très
rarement y échapper. Surtout si c’est un car haut en couleurs forcées,
en contrebas d’un ravin avec marqué au dessus « L’Horreur »,
en lettres si grosses et si rouges que c’est à se demander s’ils ne se
font pas faire une police de caractères
spéciale…. « L’Horreur »…comme si personne n’avait
encore compris que, effectivement, c’était loin d’être une promenade de
santé cet accident. Je me répète, mais ils nous prennent vraiment pour
des tartes dans ce média. D’information. Oui, dites-le très vite.
Du coup, mû à nouveau par une nausée naissante, j’ai fouillé ma
poubelle à papier (oui, je recycle, c’est bon pour le moral), et ai
ressorti l’interview du « rédacteur en chef » de ce
« journal ». Je vais m’amuser, si vous le voulez bien, à une
petite contre-interview. Nous serons trois. La Migros (M). Le journal
orange (Jo). Et moi-même (tvi).
Extraits :
M : Quelle est la recette de l’indéniable succès du (bip orange)?
Jo : En 64 pages, nous donnons un concentré des nouvelles du
monde, nous tentons de coller aux préoccupations du lecteur, de le
surprendre avec des photos intéressantes et de lui proposer des sujets
de discussion.{…}Un menu adapté à un public plutôt jeune et urbain.
tvi : Notons que ça n’est pas « condensé », mais
« concentré ». Et c’est juste ! C’est effectivement
concentré sur un objectif : vendre. Je vous laisse imaginer les
nouvelles du monde choisies. Je passe les préoccupations du lecteur…on
fait ce qu’on veut avec des « préoccupations du
lecteur »….Par contre oui ! je suis très surpris par les
photos ! Bien joué ! Bon, dire qu’elles sont intéressantes,
on frise l’outrage. Mais surpris ça…que l’on puisse mettre autant de
rouge et de contraste pour bien montrer que le sang c’est
lààààààaaaarrrrggghhh et que c’est « L’Horreur »,
c’est…surprenant. Voire avant-gardiste. A quand l’expo ??
Acharnement photographique, ça s’appelle. Et il est vrai que, du coup,
les sujets de discussion vont bon train : « p’tain t’as
vu la photo du (bip orange) !! C’est ignooooble, heuuuu comme il
doit avoir mal le gars montré par la flèche rouge ! Tu dis qu’il
est mort toi ? ». C’est pas du Balzac, mais c’est
effectivement un sujet de discussion. Bravo ! Et donc, c’est un
public jeune et urbain qui en est la cible. C’est bien. Question
violence, c’est vrai qu’ils sont plutôt en manque les mômes, c’est
assez altruiste d’en mettre un poil, dans le journal. Orange. (mais
pourquoi ils ne l’ont pas fait rouge ce journal??).
M : Quelle est la part du demi-format dans ce succès ?
Jo : Considérable ! {…} Nous ne pouvons plus attendre du
lecteur qu’il nous reprenne quatre fois en main durant la journée. Les
quotidiens sont lu tôt, rapidement, en buvant sont café. Point. {…} nos
articles courts et richement illustrés sont adaptés à cette
consommation.
tvi : J’aime bien la notion d’être « pris en main ». Il
y a plein de choses qu’on peut prendre en main, quand on y pense.
Non ? C’est chaud, c’est chaud ! Et ils ne peuvent plus
attendre ! Si on fait dans le moins grivois, cela voudrait dire
que ce journal, un peu comme un objet familier, à soi, est « pris
dans la main »…pas mal comme formule. A ce niveau, j’avoue, le
bonhomme, il est bon. Jusqu’à ce qu’il soit, un jour, « pris
la main » dans le sac…
Donc en gros, ce qu’il dit c’est : « le matin, on est
des gros bêtas, donc aux simplets, on leur colle de tout petits
bouquins avec plein d’images et peu de trucs avec des lettres. Ça
devrait le faire. » Dites meuh pour voir ?
M :L’avenir est au journaux avec toujours moins de contenu ?
Jo : Les journaux épais n’intéressent que les journalistes. {…}
tvi : C’est juste, l’autre jour encore, j’ai un ami qui lisait un
journal relativement épais. Je lui ai dit : « Toi, tu es
journaliste, je me trompe ? » et
lui : « Mais ! mais oui! comment t’as fais
pour voir ça ? » je lui ai répondu « facile, tu as l’air
de chercher une information intéressante que tu ne trouves pas dans le
petit truc orange, là… ».
Jo : {…}C’est simplement parce qu’ils offrent d’avantage que les
journaux dits de qualité s’imaginent que leurs lecteurs vont leur
consacrer plus de temps. C’est faux.{…}
tvi : Pourquoi « dits » de qualité ?…marrant ça. Il vous cherche les gars, il vous cherche !
Un bref aperçu de ce qu’est, selon moi, la définition d’un journal de qualité.
1) C’est un media dans lequel je vais découvrir tout
un tas de choses. Mais à ce sujet, je serais de mauvaise foi de
prétendre que le journal orange n’apporte aucune découverte. Je n’en ai
(plus) pas vraiment la preuve.
2) C’est un moment que je vais prendre pour piquer
des petits trucs par-ci par-là, sans me sentir obligé de tout lire,
très important ! Une petite balade dans le monde de l’info.
3) Mais c’est surtout un référant d’une journée dans
lequel je vais piocher certaines infos car je sais que c’est là que je
les trouverai. Une forme d’encyclopédie journalière. Et ce genre de
documents, vous vous le faites en un jour vous ?
Franchement, ce journal vous le lisez toujours en entier ? Ligne pas ligne ?
A cela est rajouté :
Jo : {…} le suisse a été éduqué à finir son yogourt…
tvi : il serait temps qu’il le finisse. Effectivement.
M : Sur le contenu, comment se démarquer de la télévision ?
Jo : Nous tentons de dénicher de nombreuses histoires exclusives.{…}
tvi : Si en plus nous dénichons des histoires de nichons, c’est exclusivement mieux, vous comprenez.
M : Nous vivons tout de même dans un monde d’images : comment la presse peut-elle rivaliser avec la télévision ?
Jo : L’image est effectivement fondamentale, et riche en
informations. Mais ne sous-estimons pas une photo.{…} Sur papier, vous
pouvez voyager à votre guise dans une illustration, l’étudier, vous
l’approprier. Nous entretenons par exemple un rapport bien plus sensuel
avec un cliché imprimé d’une femme nue qu’avec la même femme sur un
écran de télévision…{…}
tvi : alors là, les bras m’en tombent…je ne vais pas vous refaire
tout le speech sur ce que je pense de leur utilisation de la photo…mais
le monsieur avoue quand même à moitié que, oui, ils chargent
l’image…grande, forte, choquante, forcée, vendeuse, outrageuse !
Quant à l’histoire de la femme nue…’vraiment perdu une occasion de se
taire là….je vous renvoie simplement à mon premier article
«
L’éthique ? Et toc ! »…tout est parti d’une image
avec une femme nue…. Justement.
Jo : {…}L’homme est ainsi fait : il ne croit que ce qu’il peut lire, c’est le grand atout des journaux.
tvi : Ici, c’est intéressant. L’interviewé parle de l’image et
hop ! Il finit sa phrase sur l’écrit…comme pour se défendre
d’avance ?? D’ailleurs Saint-Thomas ne disait
pas : « Je ne croit que ce que je lis» Mais
bien : « Je ne crois que ce que je vois »… Rigolo
comme « auto-pirouette contre-argumentative ».
M : Vous avez longtemps travaillé à Zürich : existe-t-il un röstigraben médiatique ?
Jo : {…} Le « Blick » - quoique d’inspiration allemande
– a tout de même un peu influencé et bousculé cette presse suisse qui
ne se remet pas assez en question.
tvi : C’est vrai ! et nous avions bien besoin d’un journal
orange pour pouvoir le faire ! Merci ! Cela dit, je ne suis
pas très surpris des références, ce « Blick ». Quel
talent !
M : Et les attentes des lecteurs, sont-elles différentes?
Jo : {…}Le « Blick » a longtemps étalé sa fille aux
seins nus pour contenter le voyeurisme du lecteur. Le (bip orange) n’a
pas honte de montrer une jolie fille, mais cela doit faire partie d’une
histoire.Sinon ce serait mal vu.
tvi : Eh bien moi, je le vois mal, en effet. Quand j’étais encore
un de ces lecteurs interdits…je regardais les pages centrales. J’en
reste encore sidéré de la profondeur des histoires qui s’y
référaient ! Et aussi, à propos de photo illustrant
« intelligemment » une histoire, je vous renvoie encore et
toujours à : « L’éthique ? Et toc ! ».
C’est vrai que là, ça valait rudement le coup de mettre une photo.
Encore des bons points !
Je vous passe les questions-réponses sur l’affaire Calmy-Rey…
Il y a juste un petit passage ou le monsieur
dit : « Lorsque ce n’est pas un ragot, nous publions à
plus forte raison, même si c’est d’ordre privé. »
Ça a au moins le mérite d’être extrêmement clair…mais comment font-ils
à savoir que ce n’est pas un ragot ? Qui détient la vérité sur tel
ou tel fait ?? ‘Sont vraiment forts !
M : Qu’en pensent les lecteurs ?
Jo : Ils n’exercent pas de censure et estiment que nous devons leur apprendre tout ce que nous savons.
tvi : Voilà qu’il se plonge dans la tête des lecteurs, à
nouveau…c’est une manie je vous dis ! Et comment peuvent-ils
faire, ces lecteurs, pour exprimer une censure ?? Et qu’est-ce
qu’ils savent au juste, à la rédaction de ce canard orange ? La
vérité, c’est eux ? Mais on ne me dit pas tout dans ce pays !!
M : Quand vous titrez en couverture : « Britney
Spears : elle pue des pieds », n’est-ce pas gratuit ?
Jo : Oui. Mais ce n’est qu’un clin d’œil sympathique qui fait rire les lecteurs.
tvi :…il m’a fallu des calmants pour m’en remettre, de cette crise
de rire. Ça valait bien une couv’ ! Notons tout de même qu’il a le
mérite de dire que c’est gratuit…
M : S’il s’agissait d’une vedette romande, vous vous permettriez de le faire aussi ?
Jo : Avec plaisir ! J’attends des nouvelles des maquilleuses de la TSR ! (Rires).
tvi : (rires).
M : Reste que les pieds de Britney Spears prennent la place d’événements graves ou importants…
Jo : Les journaux « sérieux » choisissent leurs infos de
couverture en fonction de leur importance pour le monde et sa survie.{…}
tvi : Il y va un peu fort là…la survie du monde qui passe par une
couverture sérieuse d’un journal « sérieux »…il aurait
peut-être dû faire du théâtre cet homme-là. Mais du coup il
confirme : ce journal n’est pas un journal sérieux. Eh ben
voilàààààà quand on veut !
{…}Au (bip orange), l’intérêt du lecteur, ce qui le touche ou l’amuse, primera sur la dimension du sujet.{…}
tvi : Renvoi sur Britney Spears. Oui oui, c’est juste.
M : Dans vos chronique du samedi, pourquoi nous racontez-vous le kyste de votre hamster ?
Jo : {…}Si je n’étais pas rédacteur en chef, je tiendrais une
rubrique du quotidien, {…} Mais ici, celui qui se prend pour un grand
journaliste a honte de se raconter.{…}
tvi : Je ne ferai aucune attaque directe sur ce monsieur que je ne
connais pas, c’est bas et vilain, même si dans son média il aurait
tendance à oublier ces quelques règles élémentaires…Mais il dit quelque
chose : il se prend pour un grand journaliste. Il n’en serait donc
pas si sûr ?
Concernant la dernière question, je vous laisse le soin de consulter la
première page de l’hebdomadaire« Tout l’immobilier » de cette
semaine (no 313). A la rubrique « le Bousingot ». Je suis
tombé dessus alors que je me préparais à faire cet article, j’ai décidé
de respecter la primeur de leur intervention. Même si l’argument est un
poil léger, ils étaient là les premiers.
;-)
Voilà, j’en ai fini avec mon petit jeu, somme toute, pas si méchant.
J’ai bien conscience que le déroulement un peu inquiétant de notre
société n’est pas dû à ce journal orange qui ne fait que singer ce qui
a déjà été fait…je devrais alors en vouloir aussi aux lecteurs romands
qui se jettent littéralement sur ces médias. Mais de là à dire que
c’est la demande qui a créé l’offre, le vieil argument usé de la presse
à scandale…je dirais que l’homme a vécu un long moment de son histoire
sans ce type de média, mais il n’a, par contre, jamais pu vivre sans
eau…
Une presse qui se remet en question, c’est un média qui décide de faire
de l’argent par un moyen moins facile…moins conventionnel, donc plus
humain. Nous avons trop été habitué à se dire « c’est bien parce
que ça marche ! », pourquoi n’entrerions-nous pas dans une
ère plus « j’aimerais bien que ça marche, parce que c’est
bien » ?
tvi