| Plat du jour ? Filets de perches
L’hiver n’en finit plus, on se prend à rêver de chaleur, de soleil, se
promener en tenue légère et traîner sur une terrasse de bistro. Au bord
d’un lac, une guinguette, des tables colorées sous une tonnelle
ombragée, en bonne compagnie… Patron, des filets de perches ! Dorés,
croustillants et tendres, un délice quand le cuisinier est attentif et
le produit de qualité. |
Le
produit ? ne soyons pas naïfs.Ce n’est pas un scoop de rappeler
que la presque totalité des filets de perches consommés dans les
restaurants de notre belle région de lacs est importée (90% environ, en
majorité en provenance d’Estonie, chiffres fournis par les services de
contrôle de la consommation). Cette importation, en soit, n’a rien
d’étonnant : les filets de perches sont devenus une quasi
obligation du restaurateur local et l’on n’en a jamais autant consommé.
Un amateur éclairé verra certainement la différence : produit
fragile surgelé et souvent mal décongelé, goût un peu vaseux… C’est
pourquoi les restaurateurs scrupuleux et exigeants se font livrer des
poissons frais par les derniers pêcheurs professionnels de nos lacs et
exigent une distinction sur les cartes des restaurants entre
l’appellation « filets de perches » et « filets de
perches du Lac ». Belle initiative, en espérant qu’elle soit
respectée par la concurrence et comprise par le consommateur et le
touriste de passage…D’une façon plus générale, c’est comme chercher à
connaître la composition d’une bouillabaisse mangée à Marseille…
Un film : Le cauchemar de Darwin, du réalisateur autrichien Hubert
Sauper. Ce documentaire, visible en salles actuellement, montre
l’activité de la pêche des perches à Mwanza, en Tanzanie, sur les bords
du lac Victoria. La perche du Nil, poisson prédateur importé dans le
lac dans les années 1960, menace durablement l’écosystème du lac et sa
pêche intensive bouleverse le fonctionnement des populations locales.
La « richesse » générée par cette production entièrement
exportée côtoie la misère de ceux qui n’ont pour manger que les
carcasses des poissons dépecés. Trafic d’armes (lié au fret), drogue,
prostitution, développement urbain incontrôlé, tout cela subventionné
par l’union européenne…Deux millions de consommateurs européens
achètent tous les jours 500 tonnes de filets de perches en provenance
de Mwanza. Bien que peu prisés par les restaurateurs, ces
« gros » filets bénéficient de l’aura culinaire de leurs
petites sœurs locales.
Faites vous votre propre opinion en voyant ce film, mais tout ceci me conduit aux considérations suivantes.
De très nombreux produits bénéficient déjà d’une AOC (appellation
d’origine contrôlée) et, malgré la lourdeur de la machinerie normative
communautaire, cela permet de préserver la qualité des produits, éviter
les contrefaçons, protéger les producteurs intègres et satisfaire le
consommateur.
Pourquoi ne pas faire la même chose pour des « spécialités »
culinaires liées à une région et à une tradition? Peut-on suffisamment
informer le consommateur sur la provenance des produits pour éviter de
légiférer ? Est-ce juste d’importer des produits dans des
conditions parfois douteuses pour satisfaire le goût pour une
« spécialité locale » ?. Le jour ou la Suisse et la
Savoie n’auront plus de gruyère, arrêtons de proposer de la
fondue ! Bon, là, j’exagère…
De l’éthique dans l’étiquette ! Du contenu dans le menu !
Vive le printemps. Patron ! Une longeole et deux papets vaudois !
ojm