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Vie de chien
Ce matin, je me suis levé du pied gauche. En retard, j’aperçois du coin
de l’œil le tram qui arrive. Erreur ! Je mets le pied dans une
crotte. Une merde de chien, quoi. Le pied gauche. Pas très grosse,
couleur terne, discrète. |
J’en ai profité pour faire partager mon
aventure aux passagers du tram : quelques jurons bien sentis,
l’odeur en plus. En fin de journée, passage obligé au supermarché du
coin. Un jeune chien attaché à l’entrée aboie, hurle, le son strident
fait peur aux passants qui s’écartent. Il emmerde tout le monde, mais
un vieux fond de compassion à son désarroi empêche le citoyen ulcéré de
balancer un bon coup de savate.
Plus tard encore, à l’heure ou les
animaux viennent s’abreuver au marigot, je retrouve un ami dans un bar.
Sympa, sombre et bondé. Après quelques infusions, je me lève de ma
chaise pour sortir : hurlement, cri d’un cochon qu’on égorge. Un
pauvre cabot avait eu la bonne idée de laisser sa papatte à côté de mon
pied. Silence général, culpabilité, excuses, ridicule. Bonne journée.
Vivement ce soir qu’on se couche.
De retour chez moi, je ressens un léger ressentiment envers l’espèce
canine. Le coût du nettoyage des trottoirs, les cols du fémur
sacrifiés, l’attitude des maîtres, les espaces publics salopés par la
promenade du toutou (la Plaine de Plainpalais à Genève, par
exemple : allez expliquer à un gamin qu’il n’a pas le droit de
jouer dans la pelouse à cause des excréments de ces espèces de peluches
chieuses). Nos impôts !
C’est vrai que ça n’arrive pas tous les jours de glisser comme ça sur
un trottoir, Genève est une ville propre, très, trop, propre. Par
exemple, Paris demande à ses visiteurs de regarder attentivement
leurs pieds quand ils déambulent. Ça s’améliore, mais il y a quelques
années, on aurait pu facilement organiser les championnats du monde de
patinage merdistique.
Les pitbulls ! Les enfants agressés et défigurés par des molosses laissés sans contrôle par des abrutis…
Les SDF avec leurs chiens dans la rue. Le chien s’emmerde, on se
demande, entre l’animal et le maître, lequel mange le plus. Ça fait de
la compagnie, mais ç’est aussi une bonne stratégie pour empêcher la
police d’embarquer l’ensemble (elle est obligée d’emmener le clebs à la
fourrière et les chiens n’aiment pas l’uniforme…).
Et puis, combien ça coûte, un « animal de compagnie » ? Achat, nourriture, soins, impôts ?
C’est vite vu, pas besoin d’aligner les chiffres, beaucoup d’habitants
de cette planète vivraient dans le confort avec ce que l’on dépense
pour nos toutous et chatons. Sans être naïf sur l’organisation de notre
société, cela me choque. Le « pet » est-il recyclable ?
Je suis chez moi, je me calme, je me détends. J’aime bien les chiens,
j’adore les chats, je connais l’attachement que l’on peut avoir pour
ces bestioles, je sais l’importance de ces animaux de compagnie,
l’effet qu’ils ont sur les enfants, les personnes âgées, les
handicapés.
Et finalement, je me rends compte de ce qui me frappe le plus :
ces animaux sont malheureux. Ils sont sélectionnés génétiquement depuis
des siècles pour être les meilleurs compagnons de l’homme, à cause de
leurs qualités de gentillesse, de dressage, d’apprentissage, de
gardiennage des troupeaux et des maisons. Mais ils vivent en ville, la
pollution agresse leur odorat, le sol abîme leurs pattes, les bruits et
les mouvements de la circulation les stressent. Leurs maîtres sont
eux-mêmes stressés ou peu présents, ils considèrent trop souvent ces
êtres comme des biens de consommation, un achat égoïste voire
narcissique. Il y a même des psys spécialisés dans les troubles de
comportement des animaux de compagnie… Peut-être qu’il n’y a qu’à la
« campagne », que les chiens peuvent vivre comme des chiens,
heureux de faire leur boulot.
Regardez autour de vous : moi, j’en ai marre de voir des chiens tristes.
ojm